- N.E.P.
- N.E.P.Dans l’histoire de l’Union soviétique, la N.E.P. (Nouvelle Politique économique; en russe, Novaja Ekonomi face="EU Caron" カeskaja Politika ) représente un épisode particulier, celui où les bolcheviks semblent tourner le dos à la révolution communiste accomplie trois années plus tôt. Parenthèse hérétique dans la progression vers le communisme, cette période est marquée sur le plan économique par l’utilisation de procédés hétérogènes: maintien de certaines directives socialistes établies en 1917-1918, comme l’étatisation des banques, du commerce extérieur et de l’industrie lourde, mais retour à une économie semi-libérale à la campagne et, pour le commerce intérieur, à des procédés traditionnels, tels le colportage et l’artisanat. Son originalité profonde provient essentiellement du pragmatisme qui a présidé à son enfantement et qui a jalonné sa brève existence entre 1921 et 1927-1928.La nécessité où se trouva le premier pays ayant accompli une révolution prolétarienne de recourir à ce détour hétérodoxe vis-à-vis de la doctrine marxiste conduit-elle à des conclusions de portée générale sur le passage du capitalisme au communisme? Les hommes politiques et les économistes contemporains, soviétiques et étrangers, adversaires ou laudateurs du nouveau régime, se sont posé la question, surtout vers 1925-1926, lorsqu’on tenta de faire le point sur l’expérience de la N.E.P. Le débat entre les deux principaux théoriciens économistes du parti bolchevique, E. Preobrajenskij et N. I. Bukharin, en porte témoignage. Toutefois, pour les historiens, la N.E.P. reste plutôt un épisode original, exceptionnel même. Économiquement, elle signifie un retour partiel au passé. Elle correspond à une époque de libéralisme à l’égard des masses russes tandis qu’à l’intérieur du parti bolchevique prend fin la possibilité d’une pluralité des tendances. La N.E.P. voit le triomphe du paysan moderne, le kulak , et de l’intermédiaire habile, le nepman , et à terme celui de Staline sur ses principaux rivaux.Une réactionAnalysant la situation où se trouvait l’U.R.S.S. lorsqu’en mars 1921 le Xe congrès du Parti communiste (bolchevique) prit la décision de changer l’orientation de sa politique, Lénine écrivait: «On doit conduire le train sur de nouveaux rails, mais pour ce train qui doit transporter des dizaines de millions de gens, nous n’avons ni place ni rails!» Rarement, en effet, un changement radical en politique économique dut être accompli dans de telles conditions d’impréparation et de dénuement. Après sept années de guerre contre l’étranger, de révolution et de guerre civile, l’équipement de la Russie paraissait réduit à néant. Le communisme de guerre, imposé par les circonstances entre 1918 et 1920 plutôt que décidé de sang-froid et après mûre réflexion, avait peut-être permis aux bolcheviks de tenir face aux armées blanches, appuyées par les interventions étrangères. À coup sûr, il avait eu deux conséquences essentielles sur le plan économique. À la campagne, d’une part, les paysans, satisfaits par les premières mesures du nouveau régime qui leur accordait la terre sans indemnités, avaient rapidement pris l’habitude de vivre en économie fermée, heureux quand ils pouvaient échapper aux colonnes «récupératrices» venues des villes, malheureux si les aléas de la guerre civile ou les réquisitions venaient secouer la vie traditionnelle de la communauté villageoise; ce repli de l’économie agraire sur l’autoconsommation aboutissait à la famine dans les villes et, sur un plan strictement quantitatif, à un recul sensible des productions en céréales, pommes de terre, animaux de basse-cour, etc. La paysannerie russe paraissait égoïstement indifférente au sort de la Russie; ce pays à dominante agricole connaissait un véritable blocage économique et humain. D’autre part, dans les centres industriels l’utilisation forcenée des stocks de marchandises contraignit de réduire la production industrielle, ce qui fut aussi le fait de l’usure d’un matériel souvent vieillot qui n’avait pas été renouvelé depuis 1915-1916; les mauvais approvisionnements en matières premières dus à la surcharge d’un réseau ferroviaire déjà insuffisant avant-guerre, sans compter les destructions consécutives aux combats, firent que la production industrielle tendait vers zéro. Les grandes usines en furent réduites à recourir à des expédients; les investissements nécessaires à toute expansion n’avaient pas été réalisés et de plus l’héritage de la Russie tsariste avait été sérieusement entamé. À son origine, la N.E.P. est une réaction contre une économie atomisée et contre un net fléchissement du revenu national.Les mesures adoptées progressivement par les autorités soviétiques entre 1921 et 1925 tendent d’une part à recréer une économie de marché à l’échelle nationale, de l’autre à reconstituer le capital fixe que la Russie possédait avant la révolution. La N.E.P. peut être considérée comme une étape vers le rétablissement d’une situation économique normale; elle n’est pas une marche vers le futur, elle est un retour vers le passé. C’est pourquoi dès son démarrage la N.E.P. est conçue par ses tenants comme passagère, condamnée à plus ou moins longue échéance, le seul véritable problème étant de déterminer avec exactitude à quel moment la remise en ordre pourra être considérée comme accomplie.Un recul idéologiquePour le régime communiste, un changement aussi radical que celui du passage à la N.E.P. ne peut se limiter à des modifications économiques. La Nouvelle Politique économique comporte également des aspects politiques et sociaux. Pour comprendre l’originalité de cette nouvelle stratégie, il convient d’en retenir deux implications fondamentales, extérieures à la pure économie: l’abandon de la marche en avant, c’est-à-dire du processus de socialisation, peut inquiéter les militants bolcheviques, car elle signifie pour eux un recul sur le plan idéologique; cette anxiété risque de les conduire au découragement, et par conséquence de laisser le champ libre aux adversaires du nouveau régime. Pour éviter ce danger, le Xe congrès du P.C.(b) met l’accent sur l’obligation de la cohésion sans faille du parti; deux décisions interdisent désormais le fractionnisme et permettent, à titre temporaire, l’exclusion de membres du parti sur seule décision du comité central (Trotski vote cette disposition qui sera ensuite utilisée par Staline à son encontre). La principale conséquence de ce renforcement de la hiérarchie à l’intérieur du parti sera de limiter la discussion de la base. On aboutit à une situation paradoxale: tandis que les profiteurs du nouveau régime tolèrent le régime plus qu’ils n’y participent, les bolcheviks supportent la N.E.P. plus qu’ils ne l’acceptent.Socialement, la N.E.P. tend à limiter l’évolution entraînée par la révolution d’Octobre. Celle-ci avait contribué à satisfaire la paysannerie en détruisant d’un coup les traditionnelles entraves à la libre expansion des villageois: abolies les dettes du passé, détruites les servitudes de la communauté vis-à-vis des grandes propriétés, écartées les habituelles pressions administratives. Pour Lénine, les mesures prises alors sont une reconnaissance explicite d’une situation de fait, mais doctrinalement cela ne conduit guère à la socialisation des campagnes. La N.E.P. consolide le village russe dans cette optique individualiste en laissant aux paysans la libre disposition de leurs récoltes, limitant les prélèvements forcés ou les impôts en nature, tolérant la renaissance des antagonismes villageois, kulaki riches contre bednoti ou batraki pauvres. Une telle évolution conduit naturellement Bukharin à proposer aux paysans le célèbre mot d’ordre «Enrichissez-vous». Dans les villes ou sur les routes, le nepman triomphe. La débrouillardise et l’audace caractérisent ce nouveau riche. Où est la morale rénovatrice de la révolution? Dans les usines, l’ouvrier reprend ses habitudes de travail antérieures à la révolution; sans enthousiasme, il constate que peu à peu le ravitaillement s’améliore, mais que son niveau de vie stagne tandis que les profiteurs du régime ou de la conjoncture font rapidement fortune. La classe ouvrière russe, au nom de laquelle la révolution fut faite, semble se désintéresser d’un régime qui accorde ses faveurs à la paysannerie.L’originalité de la N.E.P. transparaît ainsi pleinement: menée par un régime qui condamnait le passé, elle était retour vers le passé et satisfaisait les catégories sociales les plus éloignées du socialisme collectiviste et étatiste. Malgré cela, elle permit aux bolcheviks de survivre et de donner à la Russie, vers 1927, une production comparable à celle d’avant-guerre.
Encyclopédie Universelle. 2012.